Mardi s’ouvre le procès de l’accident qui, le 25 juillet 2000, a tué 113 personnes près de Roissy. Quatre mois d’audience, avec la compagnie Continental dans le collimateur.
crash concorde Paru dans leJDD

Le Concorde s’est crashé à Gonesse le 25 juillet 2000. (Reuters)

Lorsque le crash du Concorde a tué 113 personnes, il y a dix ans, une légende a volé en éclats. Celle d’un bel oiseau blanc glamour et high-tech, à bord duquel les VIP croisaient à Mach 2 une flûte de champagne à la main. Le procès, qui s’ouvre mardi à Pontoise (Val-d’Oise), va achever ce qui reste du mythe. Au-delà du débat sur les causes directes du drame, l’audience va en effet dévoiler un avion fragile et pourtant négligé, malgré les incidents qui ont jalonné sa carrière. Et jeter une lumière crue sur les coulisses de la sécurité aérienne

Il est 16 h 42, ce 25 juillet 2000, lorsqu’un pneu du Concorde éclate juste avant le décollage sur une piste de l’aéroport de Roissy. Des débris tapent le dessous de l’aile. Un réservoir éclate. Le carburant s’enflamme. Incontrôlable, l’appareil tombe sur un hôtel voisin de Gonesse, tuant les cent passagers, les neuf membres d’équipage et quatre salariés de l’établissement. Selon l’enquête judiciaire, aucun doute possible: le pneu a été déchiré par une lamelle de 43,5 cm, tombée d’un DC10 de Continental Airlines qui avait décollé juste avant. L’instruction a mis au jour une série de fautes dans la maintenance de la compagnie américaine: la lamelle a été mal fabriquée, mal montée et confectionnée dans un matériau trop dur (le titane) interdit par la réglementation.
« L’appareil présentait d’importantes faiblesses qui n’ont pas été corrigées »

Continental nie toute responsabilité. Son défenseur, Me Olivier Metzner, va d’ailleurs plaider mardi la nullité de l’instruction, menée selon lui exclusivement à charge: « Vingt-huit personnes ont vu l’avion prendre feu bien avant de passer sur la lamelle, mais on a méprisé leur témoignage. Tout a été fait pour occulter la vérité. »

« Air France est partie civile alors qu’elle devrait être sur le banc des prévenus », s’indigne Me Metzner. Il s’appuie sur le scénario avancé par une enquête que vient de diffuser Canal+: les pneus auraient souffert de la surcharge de l’avion et de l’absence d’une pièce du train d’atterrissage, l’entretoise, que les techniciens d’Air France ont oublié de remonter. Ils se seraient rompus en roulant sur une irrégularité de la piste. Mais les experts judiciaires ont écarté cette thèse. « Air France a bien commis une erreur de maintenance, mais l’absence de l’entretoise n’a aucun lien de causalité avec l’accident », indique l’avocat de la compagnie, Me Fernand Garnault.

Les autres parties civiles se gardent bien de prendre parti. Elles redoutent que la bataille d’experts autour de ce bout de titane relègue au second plan les responsabilités présumées du constructeur Aérospatiale et des autorités aériennes. « Quel que soit l’événement qui a provoqué la rupture du pneu, cela n’explique pas la catastrophe. On savait depuis longtemps que l’appareil présentait d’importantes faiblesses qui n’ont pas été corrigées », déplore Me Roland Rappaport, avocat de la famille du commandant de bord, Christian Marty, et de deux syndicats de navigants.

Pendant les vingt-quatre ans d’exploitation qui ont précédé le crash, l’instruction a recensé 65 incidents de pneus ou de roues sur Concorde, dont six avec perforation des réservoirs. Six incidents se sont enchaînés dès l’année 1979, le plus grave en juillet à Washington, où une catastrophe a été évitée de justesse. Le pilote a réussi à se poser juste après le décollage car le carburant qui s’échappait de l’aile ne s’est pas enflammé.

La Direction générale de l’aviation civile (DGAC) écrit que les « objectifs de certification » ne sont plus remplis. En Conseil des ministres, le président Valéry Giscard d’Estaing, qui volait fréquemment sur Concorde, se demande s’il faut arrêter l’exploitation. La DGAC et le constructeur étudient alors un renforcement du réservoir pour éviter qu’il ne soit perforé par des débris. Mais l’idée est abandonnée. Cette modification sera mise en oeuvre vingt ans plus tard, après l’accident de Gonesse.
 » Quand on a signalé les problèmes,on nous a demandé d’arrêter »

Pour Me Roland Rappaport, c’est la raison d’Etat qui a dicté ce choix. Renforcer la voilure était impossible sans clouer l’avion au sol. Or, au même moment, les Etats-Unis stoppaient leur combat anti-Concorde en levant les dernières restrictions d’exploitation. « Arrêter l’avion à ce moment-là, c’était prendre le risque de mettre fin à la carrière du fleuron industriel dont la France était si fière », estime l’avocat.

Malgré les modifications entreprises pour limiter l’éclatement des pneus, les incidents se poursuivront. Et une chape de plomb s’abat sur le Concorde. Selon les experts judiciaires, les entreprises et les autorités concernées ont sous-estimé les incidents. « C’était l’omerta. Quand on a signalé les problèmes, on nous a demandé d’arrêter », indique Richard Puyperoux, ancien copilote sur Concorde et syndicaliste à Air France. Le chef enquêteur du Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA), Michel Bourgeois, affirme lui aussi avoir subi des pressions à la suite de l’incident de Dakar en 1979. « On nous a dit de rester tranquilles et de ne pas embêter Air France », a-t-il témoigné sur Canal +.

Trois personnes sont poursuivies pour « homicides involontaires » dans ce volet du procès: un ancien chef de service de la DGAC, Claude Frantzen, et deux anciens responsables du programme Concorde, Henri Perrier et Jacques Hérubel. Ils disent n’avoir commis aucune faute. Et concluent, comme le rapport officiel du BEA, que le crash de Gonesse était imprévisible. « La rupture du réservoir est intervenue selon des modalités qui ne s’étaient jamais produites. Il faut éviter tout amalgame avec les événements antérieurs, qui n’avaient jamais remis en cause la sécurité de l’appareil », indique Me Thierry Dalmasso, l’avocat d’Henri Perrier.

Les trois prévenus portent-ils un chapeau trop grand pour eux ? C’est ce que pensent leurs défenseurs et plusieurs parties civiles. « C’est un procès de lampistes », s’est indignée Michèle Fricheteau, ancienne propriétaire de l’hôtel sur lequel s’est écrasé le Concorde. « L’enjeu, ce n’est pas la condamnation, mais de démontrer la faillite du système de sécurité aérienne », ajoute Stéphane Gicquel, de la Fédération nationale des victimes d’accidents aériens. Vu la complexité du dossier, le tribunal n’aura pas trop de quatre mois pour disséquer les dessous du mythe.

http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Actualite/Concorde-proces-du-mythe-brise-168956/

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