A l’heure où j’écris cette lettre, j’ignore bien évidemment qui sera élu Grand Rabbin de France le 22 juin prochain. Dix candidats sont en lice pour cette fonction suprême. Un véritable record, si l’on songe aux déboires médiatiques subis par de grands rabbins en fonction.
Le poste reste donc séduisant, en dépit des vicissitudes qui lui sont attachées. Dix candidats aspirent à devenir figure de proue de la communauté juive française ; c’est du jamais vu ! Dans un passé pas si lointain, une figure unique s’imposait par son exemplarité. Puis nous vîmes l’affrontement entre deux guides qui prétendaient avoir les qualités requises pour assumer cette haute fonction. Et puisque aujourd’hui les postulants sont si nombreux, il me parait nécessaire de m’adresser à vous, pour que vous preniez conscience de l’enjeu primordial de cette élection.

Pour prétendre s’installer au fauteuil de Grand Rabbin de France, une haute estime ou de bons résultats obtenus dans telle ou telle communauté, grande ou petite ne suffisent pas. Les pressions des uns et les encouragements des autres sont de peu de poids en regard des challenges à relever. Il est probable, du reste, qu’une toute petite poignée de candidats se maintiendra à l’issue du premier tour. C’est à ces quelques rescapés du suffrage que je souhaite m’adresser, en toute simplicité et sans esprit polémique.

Chers candidats, vous savez bien que le monde change et que la physionomie de la Communauté juive française n’a plus rien à voir avec ce qu’elle était au lendemain de la Shoah, ou à l’arrivée des juifs d’Afrique du Nord. Par-delà les bouleversements technologiques qui nous concernent tous (Internet, communication électronique à outrance, médiatisation de tous les faits et gestes, relations numériques généralisées etc..) et la résurgence d’un antisémitisme généralisé dans toute l’Europe, lié à l’interminable conflit du Proche Orient, je voudrais, pour ma part, attirer votre attention sur deux points qui me paraissent devoir s’inviter dans ce débat électoral : le concept même de Grand Rabbin de France et les revendications religieuses croissantes des femmes juives. Libre à vous d’examiner, à votre gré, ces deux problématiques majeures qui viennent compléter le traditionnel programme d’action qui vous sera dévolu, si les grands électeurs vous accordent leur confiance : formation des rabbins, réforme du Séminaire Israélite de France, structuration des différents Beth Din de France, organisation nationale de la cacherout, initiatives pour lutter contre la désaffection des synagogues, motivation des jeunes, revitalisation de la fonction d’aumôniers, reconquête des juifs assimilés, animation de la vie juive en général, et tant d’autres chantiers !

En premier lieu, mettons-nous d’accord sur la définition même de votre poste, tel qu’il a été défini et élaboré du temps de Napoléon Bonaparte. Pour l’empereur, l’homme choisi devait être le guide spirituel de la religion juive pour TOUS LES JUIFS de France. Et vos prédécesseurs l’avaient bien compris, puisqu’ils s’adressaient indifféremment à tel ou tel, sans marquer la moindre préférence, l’essentiel étant de diffuser au plus grand nombre le message de la Torah. Je ne peux m’empêcher de rappeler l’époque, où venant d’être élu au Conseil du Consistoire de Paris, j’étais assis à côté de Charles GUTHWIRTH, responsable de la Communauté de stricte observance de la rue Cadet , André ULMO, représentant de la synagogue libérale de la rue Copernic ,et tous les traditionalistes…Et tous, rabbins compris, collaboraient activement pour résoudre les problèmes qui se posaient indistinctement à la communauté, avec le seul souci de l’intérêt général. Ce temps-là est révolu puisque le Consistoire a pris le parti de s’aligner exclusivement sur le courant orthodoxe. Il n’y a pas d’inconvénient, bien sûr, à s’attacher à défendre un judaïsme de stricte observance, à condition de ne pas exclure une partie des fidèles qui développent des sensibilités différentes mais toutes respectueuses des valeurs nées des dix Commandements.

Pour en revenir à cette première difficulté, il faut se mettre d’accord sur une réalité concrète : si le futur grand rabbin est la seule émanation d’un Consistoire exclusivement orthodoxe, il doit prendre désormais le titre de Grand Rabbin du Consistoire Central de France, lequel d’ailleurs pourrait adopter une dénomination actualisée (Consistoire Orthodoxe de France). A l’inverse, pour sauvegarder le titre actuel et se mettre en conformité avec l’esprit qui a prévalu il y a deux centenaires, le futur élu doit accueillir, rencontrer et travailler avec tous les représentants des différents courants religieux (hassidim, ultra-orthodoxes, massortis, loubavitch, libéraux, traditionalistes…). Chacune de ces sensibilités peut avoir des conceptions spécifiques à traiter en interne, mais certaines problématiques peuvent parfaitement être débattues et examinées en commun : tsedaka, défense argumentée d’Israël, sécurité des lieux de culte, travail de mémoire de la Shoah, identité juive, éthique médicale et bien d’autres thématiques.

Cette question fondamentale n’est pas la seule, car une revendication grandissante s’impose en Israël comme en Diaspora, liée à l’implication croissante des femmes en matière de religion. Je voudrais, également citer quelques questions qui me semblent déterminantes pour l’avenir de la Communauté juive de France :

La place des femmes dans le culte et la Communauté

L’exigence d’égalité entre hommes et femmes

Le souhait de généralisation de la Bat Mitsvah

La question des Messoravot Guet et des modalités du guet en général

Le statut et l’intégration des enfants issus de mariages mixtes et élevés dans le judaïsme

La question si épineuse des conversions

Le « vivre-ensemble » sans rejeter qui que ce soit

Le dialogue interconfessionnel.

Voilà, Cher futur Grand Rabbin de France, quelques modestes suggestions que je livre humblement à votre méditation. Ne les rejetez pas d’office. Sachez simplement que la Communauté juive est en pleine ébullition et qu’elle pourrait, fort bien exploser un de ces jours prochains, sauf si un nouveau Grand Rabbin providentiel prenait la température de la situation et y apportait les remèdes nécessaires, avec le souci de l’éthique juive et le respect des opinions de chacun.

Moïse COHEN
Président d’Honneur du Consistoire de Paris

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