Une lecture rationnelle de la riposte du Hezbollah à Israël hier, puisée dans les commentaires de journalistes, chercheurs et acteurs chiites indépendants, conduit à deux constats.

D’abord, cette riposte menée à partir du territoire libanais, dix jours après le raid israélien de Kuneitra, avait pour enjeu immédiat pour le parti chiite de se tirer d’embarras face à sa base populaire. Ensuite, cette portée intérieure morale pourrait se traduire en points supplémentaires, en faveur de l’Iran, au niveau des négociations sur le nucléaire et le départage corollaire des zones d’influence entre les puissances impliquées dans les conflits régionaux.

Dans son éditorial mis en ligne hier en soirée, la journaliste Hanine Ghaddar, rédactrice en chef du site d’informations Now Lebanon, met l’accent sur la portée intérieure de la riposte du Hezbollah, qu’elle tend d’ailleurs à limiter à ce niveau. Elle qualifie l’acte de représailles de « risqué mais nécessaire ». « Le risque de ne pas riposter était beaucoup plus grand » que celui de s’y abstenir. Et ce calcul du risque, le parti chiite l’a effectué strictement au niveau de son rapport avec sa base.

En effet, « le Hezbollah ne peut pas survivre sans héroïsme ni victoire ». Il oscillait ainsi entre un plan A, celui de s’abstenir de répondre à Kuneitra et de « substituer à sa rhétorique d’héroïsme, de dignité et de victoire, des phrases plus réalistes fondées sur « la sagesse » et « le bon moment » », et un plan B, celui d’une riposte qui redonnerait à sa base « une victoire symbolique », relève Hanine Ghaddar. Voyant que l’écart se creusait entre le commandement et « des sympathisants trop assoiffés d’un acte de « résistance » », le Hezbollah a finalement opté pour le plan B, même si « le risque d’entraîner le Liban dans une guerre était loin d’être négligeable ».

En réponse à une question de L’Orient-Le Jour, la journaliste estime que l’abstention du Hezbollah de kidnapper des soldats israéliens, comme il l’avait fait en 2006, devrait limiter le risque d’une guerre au Liban. Elle relève en outre que les représailles ont causé des pertes à Israël de loin moindres que celles essuyées par le Hezbollah à Kuneitra.

Au final, ce passage à l’acte, fortement circonscrit, a servi un objectif particulier du parti chiite, tout en servant l’intérêt du Premier ministre israélien, Benjamin Netenyahu : à la veille des législatives israéliennes, cet acte aura rappelé à ses électeurs « à la fois le danger de guerre et la capacité de son gouvernement à le contrer ».

« Une légitimation internationale de la riposte » Le journaliste Ali al-Amine

Il reconnaît d’ailleurs que « le Hezbollah a effectué une opération propre, planifiée très intelligemment ». Il a réussi à mettre en œuvre la riposte, « qui devait préserver l’idée de la résistance dans l’imaginaire de son public », et cela sans avoir à subir les conséquences de son acte, à savoir une contre-riposte israélienne.

Pour Ali al-Amine, deux éléments ont permis au Hezbollah de se tirer d’affaire. D’abord, « par le choix du point géographique de la riposte, dans le secteur occupé des fermes de Chebaa, situées au-delà de la ligne bleue, et donc du terrain d’application de la 1701, le Hezbollah a pris en compte les considérations internationales et locales, en tentant de limiter à l’avance les possibilités d’une réaction israélienne ».

Ensuite, il est une observation révélatrice d’une certaine approbation implicite d’une riposte visant à sauver la face : « La réaction internationale à la contre-attaque du Hezbollah ne laisse pas entendre que cet acte constitue une violation des règles. C’est comme si cet acte bénéficiait d’une certaine légitimité, renforcée par la géographie. »

En somme, le parti chiite a réussi à « relever le moral de sa base », à défaut de pouvoir marquer « une victoire matérielle » en Syrie. Son opération lui a surtout « épargné l’ouverture d’un nouveau front, dont il n’a pas les moyens ». Mais il existerait d’autres gains que le parti chiite aurait marqués à l’échelle régionale. « Si la guerre de 2006 a conduit au renflouement intérieur du Hezbollah, il ne serait pas étonnant cette fois de voir le Hezbollah investir son opération à l’échelle régionale et internationale ».

Pour la professeure, chercheuse et écrivaine Mona Fayad, membre du comité exécutif du Renouveau démocratique, « l’Iran et Israël tentent de tracer de nouvelles lignes de démarcation à la lumière des bouleversements régionaux et internationaux ». « L’Iran tenterait ainsi de prendre des mesures nouvelles aux frontières du Golan, de franchir une ligne rouge ».

Mais il existerait en même temps « une pression américaine pour maintenir un équilibre des forces, en partie grâce au prix du pétrole, dont la baisse épuise Téhéran », souligne-t-elle. En attendant les négociations irano-américaines, « la situation au Liban restera inchangée, puisque le Hezbollah y détient le pouvoir sans être au-devant de la scène », conclut-elle.

Mais pour l’éditeur Lockman Slim, les mutations de l’opinion publique chiite seraient aussi déterminantes que les changements régionaux. « C’est très clair que la riposte n’aura qu’un effet temporaire et anesthésiant. C’est une dose de drogue qu’il a fallu administrer à une base chiite, qui subit une série de traumatismes depuis le début de la guerre en Syrie. Il a fallu rétablir la confiance », précise-t-il. Pourtant, il ne fait pas de doute que « ceux qu’on appelle indépendants chiites disent tout haut ce que les sympathisants du Hezbollah pensent tout bas ».

Il est un constat pour relayer cette affirmation : la base du parti se réjouissait hier du nouveau souffle de victoire, sans cacher son appréhension d’une nouvelle guerre…

Sandra NOUJEIM | OLJ

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