Lettre ouverte à M. François Hollande,
président de la République

Monsieur le président, nous nous permettons de revenir sur le discours que vous avez prononcé à l’occasion de la commémoration de la libération d’Auschwitz. Nous ne pouvons que nous féliciter de la teneur de vos propos et de votre remarquable détermination à condamner sans réserve l’antisémitisme, en pleine résurgence hélas !

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En revanche, vous vous adressez à nous par : « Vous, Français de confession juive », ce qui pourrait laisser croire que vous vous adressez uniquement aux Juifs croyants. Français juifs (citoyens, ethnie) paraît suffisant. Que le Juif soit croyant, agnostique ou athée relève de la sphère privée.

C’est Clermont-Tonnerre, qui, par sa célèbre exclamation lors du débat sur l’émancipation des Juifs – « Tout pour les Juifs comme citoyens, rien pour les Juifs comme nation ! » – avait cru trouver la formule magique qui pouvait faire l’unanimité. Désormais, nous n’étions plus désignés comme des Juifs, mais comme des « Français de confession israélite », en excluant toute connotation de peuple ou de nation pour ne retenir que celle de « confession ».

C’était une dénomination politiquement très habile et très utile à l’époque, mais néanmoins malheureuse. Car un Juif non croyant reste évidemment un Juif. Pour preuve, le peuple juif est né et s’est développé pendant près de trois siècles avant d’adopter la religion de Moïse révélée sur le mont Sinaï. Les Juifs ont cette double dimension : ils sont à la fois un peuple ET une religion.

Ceci n’est pas un détail mais un point capital.

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En effet, dans l’histoire, certains ont haï les Juifs à cause de leur religion : c’est ce que l’on appela durant des siècles l’antijudaïsme chrétien. Selon ce courant et en toute logique, si vous vous convertissiez au christianisme, vous n’étiez plus du tout un Juif. La démarche pouvait souvent être sincère mais pas toujours, loin de là. L’Inquisition harcelait les convertis en les dénommant « marranes » parce qu’ils mangeaient du cochon, racine de ce mot, et en les accusant de jouer la comédie. Pour d’autres, la religion ne changeait rien au statut, on restait, physiquement si l’on peut dire, des Juifs. On sait comment Georges Bidault, président du Conseil, ironisa lors de la conversion de Maurice Shumann : « Eh bien, aujourd’hui il y a un chrétien de plus, mais il n’y a pas un Juif de moins ».

À côté de l’antijudaïsme, il y eut l’antisémitisme, mot inventé par un Allemand en 1860 pour distinguer la race de la religion. On connaît l’exploitation faite par Hitler de cette nouvelle approche : pour le racisme nazi, ce n’était pas la religion qui faisait le Juif, mais les gènes et les chromosomes.

Aujourd’hui, les antisémites arabo-musulmans et les occidentaux qui les soutiennent ne s’attaquent pas à la seule confession mais au peuple et à sa foi sans distinction, aux Juifs dans leur ensemble, englobés en particulier dans Israël. En employant le terme mixte de confession juive on ne sait pas si vous vous adressez aux seuls Juifs religieux ou à tous les Juifs de France.

Quoi qu’il en soit, au Consistoire de France, les Juifs n’utilisent désormais plus la formule désuète et inappropriée d’« israélite de confession juive ». Or « Français de confession juive » souffre de la même ambiguïté. Il est dangereux de trier les Juifs entre religieux et non religieux car l’antisémitisme ne fait pas de distinction.

En effet, après un débat que j’avais engagé à l’époque, au titre de secrétaire du Consistoire central de France, le mot israélite a été supprimé de la dénomination du Consistoire qui est devenu l’« Union des communautés juives de France ». Ce fut assez difficile, car nombre de membres de la génération précédente étaient restés attachés à l’expression «israélites de confession juive » que nous avons fini par supprimer.

Nous n’avons réussi dans cette entreprise à l’époque que grâce au tout nouveau grand rabbin de France, Joseph Sitruk, qui comprit immédiatement l’importance du changement que je préconisais. Avec son autorité, la modification fut acceptée séance tenante.

C’est pourquoi, Monsieur le président, en définissant les Juifs de « Français de confession juive », vous niez au passage, sans doute involontairement, leur existence en tant que peuple, en tant que communauté spécifique. Croyez vous sincèrement que les antisémites aujourd’hui distinguent les pratiquants d’avec les nationalistes ? Israël n’est pas un Etat de religion juive mais l’Etat des Juifs, croyants ou non. Sinon les Arabo-musulmans ne devraient avoir aucune hostilité pour l’Etat laïc juif. Les terroristes tuent les Juifs comme l’ont fait les nazis, en tant que peuple, qu’ils soient orthodoxes, traditionalistes, agnostiques ou athées. Et les Palestiniens anti-israéliens refusent les Juifs, qu’ils soient pratiquants ou non. Ils se font sauter aussi bien dans une pizzeria et dans un dancing que dans une synagogue ou dans la rue là où les Juifs portent une kippa ou des tzitzits.

Et, précisément à Auschwitz, d’où vous vous êtes exprimé, les Juifs, déshumanisés, martyrisés, gazés, sont morts, tous, absolument tous, non en raison de leur confession, mais en tant que membres d’un même peuple.

En vous remerciant de votre combat contre l’antisémitisme, je vous prie de croire, Monsieur le président, en notre haute considération.

Robert Cohen-Tanugi, lettre Israël-Diaspora

(Pour mémoire : ancien président de la Communauté juive de Grenoble, ancien vice-président du Consistoire de France, ancien vice-président du Crif)

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