Les réponses des notables ne pouvaient que donner satisfaction à l’Empereur. Mais celui-ci n’eut pas de peine à se rendre compte que rien ne lui garantissait l’application de mesures prises par des députés qui ne représentaient pas l’opinion juive, puisqu’ils avaient été nommés par les préfets, et qui ne jouissaient d’aucune autorité, aux yeux de la loi juive. pour imposer à leurs congénères la moindre modification aux usages en vigueur.

Seul, lui dit-on, un Sanhédrin (Tribunal) réunissant des rabbins d’une autorité religieuse incontestée, avait le droit de prononcer sur de semblables matières. Séduit par l’idée de faire donner une consécration religieuse et légale à ses volontés et d’étonner le monde en jouant le rôle d’un nouveau Moïse, c’est-à-dire d’un nouveau législateur du Judaïsme, il décida de convoquer un grand Sanhédrin qui entérinerait solennellement les décisions prises par l’Assemblée des Notables.

Ce grand Sanhédrin devait compter 71 membres, dont au moins deux tiers, soit 45, en possession du diplôme rabbinique.
Autant la réunion de l’Assemblée des notables avait été improvisée, autant celle du Sanhédrin fut l’objet d’une préparation minutieuse. Les Commissaires de l’Empereur allèrent jusqu’à demander à collaborer à la rédaction de la prière d’inauguration ainsi qu’au programme de la cérémonie.

David Sintzheim, rabbin de Strasbourg, fut nommé Chef du Sanhédrin (Nassi), Benoît Sauveur Segré, rabbin de Verceil (Piémont), premier assesseur (Ab Beth Din) et Abraham Cologna, rabbin de Mantoue, second assesseur, (Ha’ham), Furtado et le rabbin Cracovia, rapporteurs, Michel Berr, secrétaire.

La première réunion solennelle eut lieu à l’Hôtel de Ville de Paris, le 9 février, après une imposante cérémonie à la synagogue de la rue Sainte Avoye. Le 16 février, les membres du Sanhédrin se finirent d’accord pour adopter un costume officiel, comprenant pour les membres laïcs, le port de l’épée.

Le grand Sanhédrin tint huit séances entre le 4 février et le 9 mars 1807. Ses membres, choisis comme ceux de l’Assemblée des notables, avec un soin tout particulier par les préfets, parmi les rabbins ou les laïcs jugés bien disposés en faveur de la doctrine napoléonienne, savaient ce qu’on attendait d’eux : la consécration des décisions de l’Assemblée des Notables. D’ailleurs, pour éviter toute équivoque à ce sujet, le 16 février, Napoléon envoya aux Chefs de Sanhédrin, par l’intermédiaire de ses commissaires, des directives très nettes et bien détaillées.

Il était convaincu que les mesures édictées par une telle Assemblée prendraient force de Loi aux yeux du judaïsme universel, au même titre que le Schul’han Aruch. le Code rituel en usage depuis le 16ème siècle.

 

Au cours de la séance solennelle de clôture, le 9 mars, le rabbin David Sintzheim, Chef du Grand Sanhédrin, lut une importante déclaration, dans laquelle il résumait les travaux de l’Assemblée.

…Nous nous sommes constitués, dit-il, en Grand Sanhédrin, afin de trouver en nous le moyen et la force de rendre des ordonnances religieuses conformes aux principes de nos saintes lois… Les ordonnances apprendront aux nations que nos dogmes se concilient avec les lois civiles sur lesquelles nous vivons, et ne nous séparent pas de la Société des hommes.
En conséquence, nous déclarons : que la loi divine contient des dispositions religieuses et des dispositions politiques ; que les dispositions religieuses sont, par leur nature, absolues et indépendantes des circonstances et des temps ; qu’il n’en est pas de même des dispositions politiques (lesquelles) ne sauraient être applicables depuis qu’il (le peuple juif) ne forme plus un corps de nation…

4. Décisions du Grand Sanhédrin.

Puis il donna lecture des décisions doctrinales prises par l’Assemblée :

Le rabbin David Sintzheim, Chef (Nassi) du Sanhédrin

Article 1er. – Polygamie.

Il est défendu à tous les Israélites de tous les Etats où la polygamie est prohibée par les lois civiles, et en particulier à ceux de l’Empire de France et du Royaume d’Italie, d’épouser une seconde femme du vivant de la première, à moins qu’un divorce avec celle-ci, prononcé conformément, aux dispositions du Code Civil et suivi du divorce religieux, ne les ait affranchis des liens du mariage.
Art. 2. – Répudiation.
Nulle répudiation ou divorce ne pourra être fait selon les formes établies par la loi de Moïse, qu’après que le mariage aura été déclaré dissous par les tribunaux compétents (civils). En conséquence, il est défendu à tout rabbin… de prêter son ministère dans aucun acte de répudiation ou de divorce, sans que le jugement civil qui le prononce lui ait été exhibé en bonne forme…
Art. 3. – Mariage.
Il est défendu à tout rabbin ou autre personne de prêter leur ministère à l’acte religieux du mariage, sans qu’il leur ait apparu auparavant de l’acte des conjoints devant l’office civil.
Le grand Sanhédrin déclare, en outre, que les mariages entre israélites et chrétiens, contractés conformément aux lois du Code Civil, sont obligatoires et valables et que bien qu’ils ne soient pas susceptibles d’être revêtus de formes religieuses, ils n’entraîneront aucun anathème.
Art. 4. – Fraternité.
En vertu de la Loi donnée par Moïse aux enfants d’Israël…, qui nous ordonne d’aimer notre semblable comme nous-mêmes… et de ne faire à autrui que ce que nous voudrions qu’il nous fût fait, il serait contraire à ces maximes sacrées de ne pas regarder nos concitoyens, Français et Italiens, comme nos frères.
Art.5. – Rapports moraux.
Le grand Sanhédrin prescrit à tous les israélites, comme devoirs essentiellement religieux et inhérents à leur croyance, la pratique habituelle et constante, envers tous les hommes reconnaissant Dieu créateur du ciel et de la terre, quelque religion qu’ils professent, des actes de justice et de charité dont les Saints Livres leur prescrivent l’accomplissement.
Art. 6. – Rapports civils et politiques.
Un israélite né et élevé en France et dans le royaume d’Italie et traité par les lois des deux Etats comme citoyen, est obligé, religieusement, de les regarder comme sa patrie, de les servir, de les défendre, d’obéir aux lois, et de se conformer, dans toutes ses transactions aux dispositions du Code Civil.
En outre… tout israélite appelé au service militaire est dispensé par la loi, pendant la durée du service, de toutes les obligations religieuses qui ne peuvent se concilier avec lui.
Art 7. – Professions utiles.
Considérant… qu’il résulte de la lettre et de l’esprit de la loi mosaïque que les travaux corporels étaient en honneur parmi les enfants d’Israël, et qu’il n’est aucun art mécanique qui leur soit nominativement interdit, puisque la Sainte Ecriture les invite et leur commande de s’y livrer… et que cette doctrine est confirmée par le Talmud, le grand Sanhédrin ordonne à tous les israélites, et en particulier à ceux de France et du royaume d’Italie, qui jouissent maintenant des droits civils et politiques, de rechercher et d’adopter les moyens les plus propres à inspirer à la jeunesse l’amour du travail, et à la diriger vers l’exercice des arts et métiers ainsi que des professions libérales… Invite, en outre, les Israélites… à acquérir des propriétés foncières, comme un moyen de s’attacher davantage à leur patrie; à renoncer à des occupations qui rendent les hommes odieux ou méprisables aux yeux de leurs concitoyens, et à faire tout ce qui dépendra de nous pour acquérir leur estime et leur bienveillance.
Art. 8. – Prêt entre Israélites.
Le mot Nésche’h, que l’on a traduit par celui d’usure, a été mal interprété ; il n’exprime, dans la langue hébraïque, qu’un intérêt quelconque et non un intérêt usuraire… En conséquence, le grand Sanhédrin ordonne à tous les Israélites… de n’exiger aucun intérêt de leurs coreligionnaires, toutes les fois qu’il s’agira d’aider le père de famille dans le besoin, par un prêt officieux; statue, en outre, que le profit légitime du prêt entre coreligionnaires n’est religieusement permis que dans le cas de spéculations commerciales, qui font courir un risque au prêteur… selon le taux fixé par la loi de l’Etat.
Art. 9. – Prêt entre Israélites et non-Israélites.
Le mot No’hri ne s’applique qu’aux individus des nations étrangères et non à des concitoyens, que nous regardons comme nos frères. (Mais) même à l’égard des nations étrangères, l’Ecriture Sainte, en permettant de prendre d’elles un intérêt, n’entend point parler d’un profit excessif et ruineux…
En conséquence, le grand Sanhédrin ordonne de ne faire aucune distinction, à l’avenir, en matière de prêt, entre concitoyens et coreligionnaires;
Déclare que toute usure est indistinctement défendue, non seulement d’Hébreu à Hébreu et d’Hébreu à concitoyen d’une autre religion, mais encore avec les étrangers de toutes les nations, regardant cette pratique comme une iniquité abominable aux yeux du Seigneur.

La rédaction de l’article 3 donna lieu à une discussion serrée. Napoléon ne prétendait rien moins que de voir les rabbins bénir les unions mixtes et les recommander « comme moyen de protection et de convenance pour le peuple juif ». Il voulait que, dans chaque département, sur trois mariages, on n’en autorisât que deux entre juifs et juives et que l’autre fût obligatoirement un mariage mixte.
Pas plus que l’Assemblée des Notables, le grand Sanhédrin ne voulut accepter cette atteinte à la liberté religieuse d’Israël et il opposa une résistance acharnée aux prétentions de l’empereur.

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majole

A l’instar de l’article 3 qui n’autorise un mariage religieux qu’après un passage devant l’officier civil , on aurai pu ajouter qu’un abattage cacher ne peut être réalisé qu’après étourdissement selon les techniques en vigueur durant la période considérée

Moshé_007

Non Majole,

lorsqu’un curé est égorgé, interdiction formelle selon la charia, de l’étourdir !!

Moshé_007

@ Blum,

Non seulement le judaïsme est compatible avec une société démocratique mais il en est l’unique ferment cultuel compatible, en fait Napoléon n’avait rien à condamner à la communauté juive, hormis quelques préjugés très vite écartés du doigt, mais Napoléon s’est inspiré des règles administrant les communautés juives pour élaborer les bases de l’actuel code civil !

Il suffit d’observer à quel point le droit est rigoureusement appliquer en Israël, le seul pays qui a actuellement 2 de ses ex-dirigeant sous les barreaux et pour des actes qui ne serait même pas jugés dans cette France de 2016.

Et de comparer ce qu’il se passe dans les pays musulmans, comment l’islam interprète le « droit », dictatures sanguinaires, statut des femmes, statuts des non-musulmans, justice arbitraire et sans droit de recours, application de la charia, charia exemple de ce que l’on peut dénommer « d’anti-justice » par excellence !

Le problème réside bien dans le fait que l’islam n’est non seulement pas compatible avec le droit, mais demeure l’exemple de ce qu’il y a de plus incohérent et irrespectueux d’une conception contenue dans les « droits de l’homme » !

Jamais les musulmans ne renonceront à la charia, pour la bonne et simple raison qu’après s’être vautré tant de siècles dans une telle fange, il faudrait des dizaines de générations pour réparer les maux engendrés par sa pratique. Islam veut dire « soumission » et rien d’autre, aucune soumission ne permettra l’accomplissement d’une société équitable est juste, au contraire, c’est le refus à toute forme de soumission qui permet le développement et l’épanouissement !

Moshé_007

Intéressant de faire le constat que les musulmans n’aient pas à se soumettre à ces doctrines élémentaires déjà avalisées par la communauté juive au début du 19ème siècle. Même si les juifs de France obéissaient à ces éclaircissements avant que le Sanhédrin ne se prononce et ratifie officiellement l’acte avec le gouvernement de Napoléon.

Concernant la polygamie, le Shul’han Aruch avait déjà établit bon nombre de règle depuis le 16ème siècle, et déjà bien avant, ces mariages n’étaient tolérés qu’en cas de stérilité de l’épouse. Reste que cette « loi » empruntée de pratiques coutumières ne prenait en compte le fait que l’époux pouvait être stérile. Concernant l’usure, les juifs savaient qu’en pratiquant des taux élevés, les chances d’être remboursé diminuaient d’autant si les taux dépassaient l’entendement. Cependant, récemment de nombreux économistes ont démontrés qu’une économie ne peut pas fonctionner sans « taux d’intérêts encadrés » et sans la pratique de l’usure.

Sans oublier que si Napoléon imposa quelques relooking esthétiques dans les rapports entre la communauté juive de France et d’Italie, il mit également fin à bon nombre de ségrégations légales pratiquées envers les juifs jusqu’à cette légalisation officielle.

En définitive, nous pouvons ultérieurement constaté que Napoléon était en accord avec les règles énumérées par le Shul’han Aruch et ne trouva aucune contradiction entre les prédispositions pratiquées par la communauté juive et la république, le code civil et cette révolution qu’il institua pour le grand bien de la France, mais qu’il s’est bien plus heurté aux lois de l’église catholique et l’emprise que cette dernière avait sur l’application des règles de droit civil !

On peut même, suite à cette lecture, affirmer que Napoléon trouva dans les textes juifs, les bases de l’actuel code civil !

blum

Si un Sanhédrin semblable était imaginable, pour les représentants de l’islam, en France, il me semble que la majorité des décisions doctrinales mentionnées dans cet article, devraient s’appliquer aux pratiquants mahométans.
Le costume officiel exclurait, évidemment, le port de l’épée.