1 Les faits et les forces en présence.

Le 5 juin 2017, l’Arabie Saoudite, l’Égypte, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn ont annoncé la rupture, dans un premier temps, de leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Puis au fil des jours d’autres sanctions commerciales suivirent pour se conclure sur un embargo.
Sauf l’Égypte, ces états sont membres du Conseil de Coopération du Golfe. Ne manquent à l’appel qu’Oman et le Koweït. Cette communauté économique, créée le 25 mai 1981, n’a que très peu à voir avec une autre communauté européenne. Portée sur les fronts baptismaux par l’Arabie Saoudite et par les USA, le Conseil a développé une quasi alliance diplomatique et militaire dont le quartier général est à Hafar El Batin en Arabie Saoudite.

Si le pétrole demeure l’essence du moteur de cette alliance, la méfiance vis-à-vis du voisin iranien tient lieu de code de la route.
Six pays. L’un, un géant dont la diplomatie officielle se voulait vaticane et dont les pudeurs de jeunes filles voilées avaient en leur temps parsemé la planète de leurs flèches terroristes ; l’autre, un confetti qui se voyait pousser les ailes d’un empire planétaire. Il était donc inévitable qu’un conflit éclatât tôt ou tard.
Dans notre bonne vieille Europe, il y a belle lurette que ce genre de situation a disparu.

On ne saurait qualifier cette crise qui relève, d’une chaconne compliquée à souhait, de conflit. Mais nous sommes au Moyen-Orient !
Si les états qui composent le CCG en ont le nom, leurs ambassades richement dotées, ils ont davantage le comportement et les mentalités de tribus et de clans à la rivalité exacerbée. Il est des domaines, beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense, ou la Umma n’est qu’un vœu pieux, un mirage sans cesse rêvé, sublimé voire fantasmé.
Le grand-père de l’émir actuel du Qatar considérait toujours voire suivait l’Arabie Saoudite un peu comme son suzerain. Laquelle Arabie Saoudite trouvait cela fort confortable. Le père de l’actuel émir après un coup d’État, avait voulu mettre fin à cette situation. Sa modernisation, à marche forcée, s’est donc également accompagnée d’une plus grande indépendance.
300 000 habitants nationaux avec un PIB (PPA) per capita de 245 894 $ US sur une superficie de 11 586 km², de surplus, scotchée, tel un appendice à l’immense Arabie Saoudite peuplée de 31 millions d’habitants sur une superficie de 2 149 690 km² et dont le PIB (PPA) per capita est de 52 183 US dollars en faisaient une proie idéale.
Ajoutons à cela que Doha est le quatrième producteur de gaz naturel liquéfié et le premier exportateur et qu’il partage le colossal gisement off-shore North Dome avec l’Iran.

Des agressions verbales auraient eu lieu de la part du Qatar. Pourtant ce n’était pas la première fois que de telles choses advinrent. La région frontalière avait même connu pire dans les années 1990. En 2002 l’Arabie Saoudite rappela, déjà, son ambassadeur. En 2008, nouvelle valse-hésitation ; les ambassadeurs goûtent à nouveau les charmes exotiques des capitales rivales mais désormais réconciliées. Et déjà, la chaîne de télévision Al-Jazeera était l’objet du ressentiment- non exclusif- de l’Arabie Saoudite.
Après moult palabres moyen-orientales, le calumet de la paix est signé contre promesse qatarie de baisser d’un ton les critiques de sa chaîne de télévision contre son trop étouffant voisin saoudien. Il est vrai aussi que Riyad avait vu d’un mauvais œil le coup d’état à Doha et avait essayé de rétablir l’émir en ses grades et qualités. On a l’humeur et l’humour bien chatouilleux à Riyad.

Néanmoins Doha ne sortit pas vraiment vainqueur de ce bras de fer. En 2013 lorsque Tamin bin Ahmed Al Thani accède au pouvoir, l’Arabie Saoudite et l’UAE exercent à nouveau des pressions pour amoindrir les volontés d’indépendance de leur voisin qatari. Nouveau rappel des ambassadeurs en 2014 et fermeture des frontières aériennes dans la région.
Il doit probablement s’agir d’une coutume locale ou d’une compétition sportive. Il n’empêche, ayant vu le Shamal approcher, le Qatar décide en novembre 2014 de restreindre son soutien aux Frères Musulmans que les saoudiens et égyptiens (entre autres) n’affectionnent pas particulièrement et n’entourent pas de marques de tendresse outrancière. Il s’ensuit le départ de certains Frères Musulmans du Qatar. Pour autant Doha ne renonce pas à sa diplomatie tous azimuts.
La crise actuelle démarre donc quelques jours avant le 5 juin 2017, lorsque l’agence de presse officielle du Qatar aurait déclaré que l’Iran avait vocation à être un allié stratégique et ne devait pas être perçu comme un ennemi fauteur de troubles. Avoir dit cela constituait un crime de lèse-majesté envers le grand stratège de Washington lequel ne goûte que fort modérément ce genre de rhétorique. Pour être tout à fait juste, reconnaissons que c’était agiter une muleta envers l’Arabie Saoudite.
Soit dit en passant, ce jugement, prononcé ou non, est frappé au coin du bon sens géopolitique.
Nous avons employé le conditionnel car, d’une part les autorités qataries ont démenti avoir tenu de tels propos, mais d’autre part selon des sources émanant du FBI, ce seraient les Russes qui, fidèles aux bonnes habitudes héritées des temps soviétiques, auraient fabriqué ces « fake news. » D’autres pensent que l’Arabie Saoudite ou l’UAE auraient elles-mêmes été à l’origine de ces fausses informations.
En l’état actuel il est difficile de se prononcer sur l’authenticité ou la non- authenticité de ces déclarations. Pour autant le 10 juin, le ministre des affaires étrangères qatari voit son homologue Lavrov à Moscou.

Le petit État du Bahreïn peuplé à 65 % de chiites, ayant pourtant connu, lui aussi, la tentation et la tension des           « Printemps Arabes » n’a point basculé dans l’ivresse de ces mêmes « Printemps Arabes » que parce qu’Obama et l’Arabie Saoudite ne le souhaitaient pas.

En bonne logique Bahreïn ne devrait donc point monter au front contre le Qatar puisque ce dernier est « allié » de l’Iran chiite et de terroristes chiites. Et pourtant cela n’empêche pas Bahreïn d’accuser le Qatar de “financing armed groups associated with Iran to carry out subversive attacks” à Bahreïn. 1
Que l’on permette à l’auteur de ces lignes une remarque collatérale. Certes l’antagonisme civilisationnel- cher à Samuel Huntington- existe, et certes l’antagonisme sunnite-chiite est une réalité, mais lorsque des intérêts géopolitiques l’exigent, il cède bien souvent le pas.
Il est d’ailleurs tout à fait passionnant de constater que le Qatar, quoique sunnite, a toujours entretenu de meilleures relations avec les chiites et l’Iran qu’avec ses voisins sunnites.

Cela étant, nous assistons cependant à la crise la plus ample sinon la plus grave qui oppose le CCG et l’Égypte au Qatar. Il est donc légitime de se poser une batterie de questions.

– Il n’est pas sûr que de tels propos aient été tenus. Selon la réponse apportée on se demandera qui pourrait y avoir intérêt.
– Le Qatar supporte-t-il réellement davantage le terrorisme que ne l’a supporté l’Arabie Saoudite.
–Le Koweït soutenu par la France et l’Allemagne a-t-il une chance de voir ses efforts de médiation réussir. Quels sont les moyens à sa disposition ?
– La brouille qatarie, ne serait-elle pas une retombée collatérale, de la cacophonie bêlante et bêtifiante de la diplomatie ignorante de Trump.
– Quelle part de causalité revient à la politique intérieure saoudienne ?
– A-t-on réellement intérêt à exacerber des relations avec un Iran dont on a eu tellement de mal à le faire renoncer à son statut nucléaire militaire. Citons à cet égard Renaud Girard : « L’accord du 2 avril 2015 a toutes les chances d’être encore enseigné dans 30 ans au sein des universités de science politique du monde entier comme un modèle de succès de la diplomatie multilatérale… » ! 2
– A vouloir humilier le Qatar avec un tel shopping list ne risque-t-on pas de le pousser dans les bras de Téhéran.
-Ira-t-on jusqu’à bloquer les routes maritimes par où le Qatar exporte son gaz. C’est la gravité même de cette mesure qui la rend difficilement envisageable.
Répondre à ces questions donnera une idée plus précise de la raison réelle du conflit. L’agence saoudienne d’information qualifie ainsi la crise : “ the protection of national security from the dangers of terrorism and extremism”. 3
Le gouvernement qatari a, quant à lui, répondu à cela comme étant “ unjustified…From the start, it was clear that this media campaign was carried out to exert pressure on the State of Qatar so that it would surrender control of its national decision-making, sovereignty and politics,” 4
Les nationaux des pays qui ont pris ces mesures sont interdits de voyage au Qatar ; les qataris ont quant à eux deux semaines pour quitter les pays du Golfe. En outre des mesures seront prises à l’encontre des compagnies qui emprunteraient l’espace aérien qatari. La frontière terrestre de l’Arabie Saoudite avec le Qatar est fermée ce qui entraine indubitablement de grosses difficultés pour l’alimentation des qataris.

Le Qatar regrette (on s’en serait douté) cette décision qui « was founded on allegation that have no basis in fact. » 5
Il n’empêche, les UAE ont interdit aux bateaux liés au Qatar de mouiller au port de Fujaïrah qui est le principal port de relâche. Le Qatar a déjà pris des mesures pour que ses navires relâchent à Singapour et à Gibraltar. Ces deux destinations sont tout sauf anodines.

2 Les raisons de cet affrontement
2.1 les raisons officielles

Le 23 mai l’agence officielle du Qatar, la QNA, a rapporté les propos qu’aurait tenus l’émir Al Tamin qui se demandait combien de temps Trump resterait au pouvoir !
Bien que des officiels qataris aient démenti que l’émir ait tenu ces propos, on ne peut totalement en écarter l’hypothèse. Mais en tout cas, cela reflète un état d’esprit significatif de la tension existante entre Washington et Doha.
Peut-être, mais ce n’est pas la première fois que Washington a connu dans ses relations avec les pays du Golfe de telles tensions. Le camouflet adressé à Obama par ces pays lorsqu’il voulut leur expliquer l’accord iranien fut aussi éloquent que pérenne. Certes le caractère ombrageux, puéril et fantasque de Trump ne peut se comparer au self-control légendaire d’Obama.
Ce qui est probable, c’est que l’émir du Qatar, fidèle à sa tradition, a réaffirmé que pour lui le Hamas était le représentant légitime du peuple Palestinien et tout en réaffirmant son soutien aux Frères Musulmans, a mêmement mis en avant ses bonnes relations avec Israël.
Si l’on analyse ses propos, nous constatons qu’il n’y a eu nulle trace de provocation et surtout que l’on ne trouve pas la preuve qu’ils aient été tenus. En effet Tamin évite de parler durant ce genre de cérémonies mêmes militaires. Qu’il pense en son for intérieur ce genre de discours, cela est plus que vraisemblable. Mais il est difficile de l’imaginer tenir des discours où il soutiendrait ouvertement le Hamas, et encore davantage faire état de ses bonnes relations avec Israël et s’épancher, là aussi publiquement, sur ses mauvaises relations avec les États-Unis.

Connaissant la prudence et le mutisme légendaires des dirigeants du Golfe, il semble qu’il faille donc se rabattre sur les hackers russes ou un piège tendu par la Maison Saoud, empêtrée dans ses querelles dynastiques intestines et ses problèmes socio-économiques. Cette costille nous semble relever davantage de l’étincelle rallumant ainsi une querelle d’Allemand.
Cela traduit, tout au contraire, la résurgence de vieilles dissensions ancestrales et tout autant qu’une peur, exagérée ou pas, d’une montée d’un islam politique dans la région.

Par contre, l’affaire de la rançon payée par le Qatar pour prix de la libération d’otages dont certains faisaient partie de la famille de l’émir, à une milice chiite en Irak a été considérée comme un soutien du Qatar aux chiites.
Les pays du Golfe ont d’autre part vécu comme extrêmement anxiogène le comportement des qataris dans leur soutien au Hamas et aux Frères Musulmans. Les qataris ont eu beau leur expliquer, en juillet 2016, que leur but était de les modérer et qu’ils étaient « raisonnables et modérés », ils ne furent pas cru d’autant plus que cette modération arrivait fort tardivement surtout envers Al-Nosra.

Les Américains reprochent donc au Qatar d’être un « lousy ally ». Soit. Ils ne sont ni les premiers ni les derniers à pratiquer et aimer ce genre d’incartade. La Grande-Bretagne n’a pas toujours été un allié privilégié, la France a connu moult quolibets et reproches acerbes des USA, Bush fils a aussi eu maille à partir avec Moubarak, le Canada passe souvent pur un état non fiable ; il n’empêche que les réconciliations finissent toujours par advenir. Ainsi, la France est aujourd’hui considérée comme le meilleur allié des USA et notamment dans la lutte antiterroriste.
Au Moyen-Orient les rancunes locales peuvent parfois être tenaces ! Mais là encore les querelles d’alliés arabes ne semblent pas être la cause dominante de la crise.

En fait le véritable nœud de cette situation ubuesque est parfaitement résumé par cette pensée si juste et si percutante d’Henry Kissinger : « Dans les systèmes d’alliances, les membres les plus faibles ont de bonnes raisons de croire que le plus puissant a un intérêt primordial à les défendre ; il s’ensuit qu’il n’éprouve plus le besoin de s’assurer de son appui en souscrivant à sa politique. » 6
Penser très fort, et penser encore plus fort que l’Arabie Saoudite est un allié modèle, que le Qatar est un lousy ally, grand supporter financier du terrorisme, relève d’un jugement à l’emporte-pièce coutumier de Trump mais que le Secrétaire d’État Rex Tillerson n’endosse peut-être pas complètement.

Il faudrait en effet oublier le fait que la quasi-totalité des terroristes du 11 Septembre provenait d’Arabie Saoudite ou d’Égypte mais surtout que les USA ont refusé de déclassifier des documents révélant des faits embarrassants pour le royaume saoudien.
C’est également faire peu de cas que les Saoudiens ont demandé le retrait des troupes US de leur territoire en 2003. On aura connu des comportements plus amicaux !
Qualifier le Qatar de lousy ally, c’est aussi faire fi de la base américaine Al Udeid au Qatar et qui est l’une des plus grandes bases US à l’étranger.
C’est en effet de cette base que les avions américains décollent pour larguer leurs bombes en Afghanistan, en Irak et contre Isis. Certes, nous conviendrons bien volontiers, que le Qatar a peut-être succombé trop fortement aux liaisons dangereuses avec l’Irak, le Hamas et alii.
Il n’empêche. Il n’empêche, car que l’on sache personne n’a songé au moindre blocus contre l’Arabie Saoudite qui avait organisé en 2002 un téléthon pour soutenir les familles des terroristes du Hamas durant la deuxième intifada.

L’on a même entendu parler de valeurs démocratiques oubliées par le Qatar.
Certes nul n’aurait la sotte idée d’ériger l’émirat comme héritier du Siècle des Lumières. Mais comme le disait si, finement, feu le Cardinal Richelieu : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »
Mais l’on ne voit pas en vertu de quelle logique, il serait juste de condamner le soutien financier du Qatar aux terroristes du Hamas et tout à fait innocent ce même comportement lorsqu’il s’agit de l’Arabie Saoudite qui comme chacun le sait a été un président émérite du comité consultatif des Droits de l’Homme à l’ONU. Après la Chine et l’Iran, c’est l’Arabie Saoudite qui détient le triste record du monde des exécutions capitales.
Ceci démontre amplement que toutes les raisons officielles invoquées par l’Arabie Saoudite ou l’Égypte ou les USA n’ont que peu à voir avec les véritables raisons.

L’on notera au passage–peut-être hélas–le peu de crédibilité qu’il est convenu d’apporter à ce genre d’arguments. Ceux qui le mettaient en avant, il y a quelques années, semblent le remiser aux oubliettes encombrées de l’Histoire, maintenant que l’Arabie Saoudite a développé des accords de sécurité avec eux-mêmes. L’on peut multiplier à foison de tels éléments de preuve.
Le Qatar finance et supporte des mouvements islamistes. Peut-être et même très probablement. Ainsi il finance le mouvement Faylaq al Rahman en Syrie. Mais que dire du soutien de l’Arabie Saoudite autour de Damas à Jaysh-al -Islam. Aucun de ces deux mouvements ne s’est signalé par son appartenance à la chorale des petits chanteurs à la croix de bois.

2.2 Les raisons réelles

Après avoir éliminé toutes les raisons officiellement annoncées, nous nous proposons de discerner celles qui fondent la réalité de la crise. On l’a vu, le minuscule mais richissime appendice qatari reste une proie bien tentante dans une région où la fauconnerie est considérée comme un grand art. Le royaume saoudien grâce, entre autres, à ses libéralités financières s’est toujours vu comme un apôtre du soft power. Or il se trouve que la diplomatie qatarie contrecarre sa volonté.
Le Qatar a une diplomatie tous azimuts, suivant en cela la pensée de Henry Kissinger. « La liberté d’action, c’est-à-dire la conscience de posséder un choix d’initiatives plus vaste que celui de n’importe quel adversaire, assure une meilleure protection qu’une alliance car, à l’heure du besoin, aucune issue n’est barrée. »

Les divergences entre le Qatar et ses voisins avaient donc de grandes chances d’advenir à nouveau. Qu’on en juge :    « Agir d’un commun accord ne se peut plus, non par la faute de quiconque, mais parce que la définition du danger est radicalement différente selon qu’on l’énonce à Londres ou sur le continent. »7
La raison qui, à notre avis, fait sens c’est que l’influence du Qatar ombrage l’Arabie Saoudite. Se rapprocher de l’Iran, ce que la simple lecture d’une carte impose, et avoir entretenu des relations officielles avec l’État d’Israël tout en ne désavouant pas le Hamas relève de l’équilibrisme et d’une vraie performance géopolitique.
Au trébuchet de l’Histoire, le Qatar a appris les leçons de Bismarck !
Quoi de plus naturel que cela chatouillât son puissant voisin !

Rappelons quelques faits. En 2007 le vice-premier ministre Israélien Shimon Peres visite le Qatar où il avait d’ailleurs auparavant ouvert en 1996 une représentation commerciale. Le Qatar a participé en Israël à la construction du Doha Stadium. Il a aidé au rapatriement des juifs yéménites en 2013 en Israël. Certes les relations avaient pris fin en 2000.
Selon le journal israélien Haaretz, Nétanyahu aurait lui-même refusé en 2010 la réouverture de relations avec le Qatar, à cause de conditions qu’il jugeait exorbitantes.

Pour autant, n’en déplaise à Nétanyahu, il est donc possible d’entretenir des relations avec Israël et simultanément avec le mouvement terroriste qu’est le Hamas. L’on se rappellera fort utilement les propos de Kissinger rapportés par Antoine Coppolani dans sa biographie de Nixon : « La détente consiste à mitiger les conflits entre adversaires non à cultiver entre eux une amitié. »

Ce qui a vraisemblablement contribué à la dégradation des relations au sein du CCG et de l’Egypte vis-à-vis du Qatar, c’est le rôle joué par ce dernier en accueillant tous les réfugiés politiques. Plus que l’antagonisme religieux, la contamination de la déstabilisation politique.
Doha, c’est non seulement une base US, mais c’est aussi une base française et maintenant turque. Si demain, la Chine venait à y rajouter une perle à son collier cela ne nous surprendrait pas outre mesure. C’est donc une influence et une puissance surmultipliées.
Nonobstant toutes les autres raisons, à elle seule cette émergence leur pose problème. La position de Trump est surprenante. Voici un pays, sinon allié, à tout le moins non hostile, hébergeant une base US ; il serait exagéré de dire que ce pays soit à la charge des USA et pourtant il a déclenché l’ire trumpienne.
La raison tient en deux mots : le caractère puéril de Trump. Car ce que ne supporte pas Trump, ce sont les critiques de la presse et donc d’Al Jazeera dont les éreintements envers lui-même n’ont d’égal que le soutien aux Frères Musulmans et les diatribes parfois enflammées envers al Sissi.

Philippe Gordon, Amos Yadlin et Harry Heistein l’analysent de façon parfaitement claire, dans la dernière livraison de la revue israélienne INSS. Profitant de la visite de Trump à Riyadh, l’Arabie Saoudite et alii : « Trump expressed an unqualified commitment to Riyadh and its allies in the region, with a focus on containing Iran and fighting against radical Islam, signaling there would be no fallout from the United States if they took steps to push Qatar back into line. Trump even took credit on Twitter for bringing about the regional blockade of Qatar, and denounced Doha’s leaders as « high-level funders of terrorism, » though his own Secretary of State had appealed for an easing of that blockade.”

Il faudra désormais s’habituer à vivre dans un monde où des propos incohérents et irresponsables tiennent lieu de pensée stratégique. On parle ici de la première puissance mondiale et non de la principauté d’Andorre.

Pour l’Arabie Saoudite d’une pierre quatre coups.

– Soulagée, encouragée et fière de la bénédiction de Trump lors de son premier voyage à l’étranger, permis de punition et licence de chasse contre le Qatar coupable d’indépendance envers le grand voisin et d’irrévérence envers le nouvel élu à Washington.
– C’est l’occasion rêvée de se refaire une virginité (à bon compte) vis-à-vis de Washington.
– C’est enfin last but not least un moyen rêvé de reconstruire son unité en ces temps incertains de querelles dynastiques et de tensions sociales. (Le budget saoudien est aujourd’hui largement déficitaire ce qui entraîne des coupes sombres dans les budgets sociaux.)

Et si le plus grand risque au Moyen-Orient n’était ni le conflit israélo-palestinien, ni le terrorisme, ni le conundrum iranien mais bien l’implosion de la Maison Saoud. Si vous avez aimé la crise pétrolière des années 73-74, vous adorerez sans nul doute un tel scénario.
Dans son superbe discours du Caire, le Président Obama a parfaitement analysé ce genre de risques. Le lac de pétrodollars cache peut-être un tsunami social qui ne demande qu’à faire irruption. L’Arabie Saoudite a acheté la paix religieuse ; nul ne peut prédire ce que le fondamentalisme peut provoquer au pays du fondamentalisme wahhabite.
Si l’Arabie Saoudite s’est endormie sur un gigantesque matelas financier, les crises socio-économiques sauraient cependant l’écorner durablement. L’Arabie Saoudite a surmonté la guerre du pétrole, les guerres du Golfe, des troubles sociaux, les querelles dynastiques qui laisseront forcément un jour des jalousies remonter à la surface, il n’est pas sûr qu’elle ait vocation à demeurer ad vitam aeternam un îlot de stabilité. Perinde ac cadaver.

Ainsi en 2017 le Fragile States Index a classé l’Arabie Saoudite au 101ème rang sur 178 pays.
Le World Governance Indicator Project Score a indexé l’Arabie Saoudite à -0,31. L’échelle de mesure étant -2,5 faible à + 2,5 fort. Le taux de chômage est de 30 %.
Mais le vrai danger saoudien c’est la cohésion des élites qui se fissure. Selon le Political Instability Task Force (PITF) qui se situe dans la mouvance de la CIA, c’est là le plus grand danger.
Soit l’Arabie Saoudite se démocratise et le risque est un printemps arabe non maîtrisé qui ferait paraître certains printemps arabes ayant échoué comme d’aimables plaisanteries, soit l’Arabie Saoudite se referme. Comme disent les Américains : bad, awesome, worse.

3 Un enlisement benign neglect

Si l’on élève la focale et que l’on sort des querelles picrocholinesques, des tendances lourdes chantournent la géopolitique de la région, qui empêcheront, cette costille de dégénérer. Certes l’on ne compte plus dans le passé les conflits accidentels ou incompréhensibles. Et certes le conflit chypriote a révélé lui aussi quelques charniers. Certes il a opposé deux membres de l’OTAN, alliés des USA ; et certes ses séquelles continuent d’empoisonner la région et l’Union Européenne.
Mais enfin, l’Arabie Saoudite a le plus vieux traité d’assistance avec les USA depuis le pacte de Quincy. Et ces mêmes Américains disposent d’une de leurs plus grandes bases au monde au Qatar.
C’est de cette base que décollent leurs avions. Au Yémen malgré leurs disputes, les qataris et les saoudiens préservent leur alliance, même si l’intervention qatarie y relève du symbole.

Certes, Clausewitz est toujours là pour nous rappeler que l’autonomie de la guerre et la fureur qu’elle engendre ne sont pas de vaines notions.
Que le principal producteur de pétrole de la planète et le premier exportateur mondial de gaz naturel liquéfié viennent à se faire la guerre, l’embargo pétrolier de 1973 aurait des airs de dessin animé.
Aramco et Qatar Gaz Company feront tout pour que ce scénario ne survienne. Le gaz qatari fournit une liste impressionnante de pays, USA, Europe, Corée etc. C’est à lui seul un véritable atlas géographique.

Ce qui a changé par rapport à 1973 c’est la puissance chinoise. Tout laisse à penser que la Chine n’acceptera pas une menace contre ses approvisionnements et sa propre stabilité intérieure.
En outre les besoins énergétiques des pays du Golfe sont tellement imbriqués que l’on voit mal Dubaï, pour ne citer que lui, rester longtemps privé d’électricité.

L’impéritie de Trump a allumé cette crise, mais tant le Pentagone que le State Department relayent par la voix de l’Ambassadeur US à Doha leur volonté d’apaisement et leurs divergences à peine voilées avec Trump.
Difficile dans ces conditions d’aggraver l’escalade. Ainsi Rex Tillerson rajoute à la cacophonie ambiante : “I do not expect that this will have any significant impact — if any impact at all — on the unified fight against terrorism in the region or globally,” 8
Le 12 juillet, il est même allé plus loin en signant un accord à Doha de lutte contre le terrorisme. Or c’était précisément un des motifs allégués à cette brouille par l’Arabie Saoudite et les USA. Cela relevait donc bien entendu d’une aimable fable.

En fait les Américains ont intérêt plus que tout autre pays, à ce que ce mini- conflit ne dégénère. Passé les rodomontades de Trump, ils feront tout pour désescalader ce conflit.

Outre les raisons économiques trois noms l’imposent : Moscou, Téhéran et Ankara. Moscou se voudrait partenaire de Doha et évincer les USA sinon de la région en tout cas d’un Qatar dont il se verrait bien, tel un deus ex machina, le nouveau « protecteur ». Le Moyen-Orient a toujours été le théâtre de querelles byzantines et Moscou a, de tout temps, su user des actions « Sub Rosa » ou de désinformation.

Doha a nettement nié avoir tenu de tels propos incendiaires. Il n’est pas impossible que ces « Fake News » aient été inventés soit par des hackers d’Arabie Saoudite soit par des hackers russes.
L’intérêt de l’Arabie Saoudite étant de resserrer ses liens fragilisés avec les USA au détriment du Qatar.
Moscou, si c’est lui, et Poutine le nie pourtant fermement, joue une partie serrée qui exige finesse et discrétion. Tout en réfutant qu’il puisse s’agir de hackers russes, le président russe déclare dans une interview à la revue américaine The Atlantic le 1er juin : «some Russian hackers might be acting independently, saying,…Hackers are free people, just like artists.” L’on ne saurait être plus clair dans le démenti.
La crise démarre donc le 5 juin 2017. Dès le 5 Lavrov et son homologue qatari Mohammed bin Abdulrahman Al Thani s’appellent. S’ensuit une série d’entretiens entre l’Emir, Poutine et Erdogan. Le 10, le ministre des affaires étrangères qatari est à Moscou.
Mais pour être efficace, Moscou se doit de jouer low profile. Que sa stratégie échoue, Moscou aimerait alors empocher les bénéfices de médiateur de la crise. Toute chapellenie est bonne à prendre ! Qui sait si le rêve de Moscou n’est pas d’ajouter une nouvelle base, après Lattaquié et Tartous, au Moyen-Orient. Les intérêts de Moscou sont, comme souvent, à la fois économiques et stratégiques.

Moscou est désespérément à la recherche d’investissements financiers. Attirer et capter les investissements qataris en Russie est pour lui vital, notamment pour financer ses propres installations énergétiques. À cet égard, le Qatar possède déjà 19,5 % de Rosneft. Le groupe minier Glencore a aussi lourdement investi en Russie. Les intérêts stratégiques se nourrissent de ses placements.
La politique russe navigue entre eurasianisme et identité grand-russe. La population musulmane représente environ 15 % de la population russe. C’est à la fois un atout et une menace pour Poutine (inauguration avec Erdogan et Mahmoud Abbas entre autres de la plus grande mosquée d’Europe, l’on notera que Poutine avait dû oublier d’inviter à cette inauguration son grand ami Nétanyahu.)
Néanmoins, il a déclaré lors du sommet de l’OCS à Shanghai du 8 et 9 juin : «Isis is preparing new plans to destabilize Central Asia and the South of Russia.» Cette menace transiterait tout particulièrement par l’Afghanistan. Or les talibans ont ouvert un bureau à Doha. Le Qatar, ne l’oublions pas, cultive cette étrange particularité d’accueillir des mouvements extrémistes. Poutine a lui-même par ailleurs des contacts avec les talibans. Des négociations secrètes auraient même été tenues entre eux au Qatar.

Outre ce dialogue, Poutine espère que si le Qatar investit lourdement en Russie, il pourra diminuer la pression extrémiste, le Qatar ayant horreur de voir ses investissements financiers perdus.
Certes le calcul est d’autant plus hasardeux que le Qatar avait accueilli chez lui des réfugiés tchétchènes dont la moindre des qualités n’est pas de déborder d’un amour fusionnel envers Poutine.
D’autre part le Qatar est une des portes d’entrée de la Russie dans le Golfe. Doha est donc un levier. La vieille tactique soviétique consistant à enfoncer un clou parmi les alliés est toujours en odeur de sainteté chez les russes.

Autant de raisons qui poussent les USA à tout mettre en œuvre pour désamorcer cette crise.
Mais pendant ce temps, cerise sur le gâteau, lors de ce même sommet, l’Inde et le Pakistan, pourtant habillés et habités de leur éternelle rivalité, rejoignent l’OCS au sommet d’Astana.
L’OCS est désormais un club nucléaire à quatre. Chine, Russie, Inde et Pakistan. Le cauchemar américain serait de voir l’Iran passer d’État observateur au statut d’État membre et la Turquie d’État partenaire de discussion au statut plein.

Mais il est une autre raison pour laquelle cette affaire devrait retomber comme un soufflé. C’est que les intérêts et valeurs de l’Arabie Saoudite ne coïncident pas toujours ni à ceux de l’Égypte ni à ceux des autres membres de la coalition. Le front commun anti Qatar finira par se fissurer tôt ou tard. L’ironie de la situation est que le Qatar est aussi une excroissance du wahhabisme.
Là encore l’on voit que la religion est bien souvent instrumentalisée. Je t’aime moi non plus !
Pour que cette affaire cessât selon les vœux saoudiens, peut-être soufflés par Trump, et si l’intervention armée est exclue–l’armée saoudienne est suffisamment embourbée au Yémen–elle n’est pas près de sauter à pieds joints au Qatar, il faudrait que le blocus soit suffisamment douloureux, contraignant et correctement structuré pour être efficace.
Même si l’économie qatarie y perd de sa superbe elle a de quoi tenir. Et ce d’autant plus que l’Arabie Saoudite et les autres états en souffrent aussi.
Le conflit qatari : un jeu perdant–perdant !

En outre l’on sait aujourd’hui que la Turquie a largement contourné les sanctions iraniennes à travers une de ses banques d’État. Or, et fort logiquement la Turquie et l’Iran approvisionnent jusqu’aux supermarchés qataris.

Quant à l’option militaire, cela relève de la galéjade. Mais surtout, avec l’installation d’une base turque au Qatar, l’on ne voit pas quel intérêt les USA et l’Arabie Saoudite auraient à voir se constituer un axe Doha, Ankara, Téhéran auquel Moscou rêverait de se joindre.

Trump a beau n’être qu’un amateur de seconde division, son Secrétaire d’État–sans avoir l’étoffe de ses prestigieux prédécesseurs–ne l’est pas. Ne nous leurrons pas : que l’Arabie Saoudite et l’Iran se rapprochent, ce à quoi les Américains devraient travailler dans la région, alors la belle alliance Israélo- saoudienne rêvée par Nétanyahu aura du plomb dans l’aile.

S’il y a un problème religieux ou d’identité, et il est évident–Moyen-Orient oblige–que l’on ne peut négliger cet aspect, il est à rechercher du côté de cette gémellarité wahhabite. Doha et Riyad ne pourront en faire l’économie.
Pour autant le cœur du réacteur du problème demeure géopolitique, de soft power. Qui pèsera le plus face à l’Iran ? Qui sera le plus utile à la mollahcratie perse ou qui saura y faire contrepoids ? Qui sera le brillant second de Washington ?

Car l’Iran, puissance émasculée nucléairement grâce à Obama ne peut ni attaquer son voisin maritime, la flotte américaine étant maître de ce « global common », ni même faire cavalier seul.

Pour autant, le Qatar aurait tort de se croire intouchable et protégé dans son désert. Quant à l’Arabie Saoudite on lui rappellera utilement ce qu’écrivit Jules César il y a déjà quelques années : « C’est sous le coup de ces potins et de ces ouï-dire qu’ils décident souvent les affaires les plus importantes, pour se repentir bientôt forcément d’avoir cédé à des bruits incertains, et la plupart du temps, inventés leur plaire. » 9
Au Moyen-Orient les retours de bâtons arrivent toujours plus soudainement qu’ailleurs.

L’Arabie Saoudite a financé sans retenue ni sans vergogne aucune, son soutien au terrorisme. Et ce n’est pas par bonté d’âme qu’elle y a renoncé, en tout cas à grande échelle. Mais elle a toujours su jusqu’où ne pas aller trop loin. Et dans le conflit qui l’oppose au Qatar, elle saura là aussi ne pas pousser de tous ses feux.

Car elle a d’ores et déjà obtenu un certain nombre de gains qu’elle ne voudra pas risquer de perdre. Ces gains sont certes faciles, mais ils sont bons à prendre. Elle s’est fait mousser auprès de Washington et a su très habilement flatter Trump (lequel ne demandait que cela). L’exercice, on le voit, n’est pas trop complexe. Mais elle a surtout éloigné les bruits et querelles dynastiques de palais.
Enfin elle couvre d’un chapelet nationaliste ses problèmes sociaux qui deviennent structurels. Elle n’a sûrement pas oublié comment et pourquoi les printemps arabes ont éclaté.
Dans ce théâtre d’ombres, où l’essentiel est de ne pas perdre la face, il était évident que les 13 demandes adressées au Qatar ne pouvaient aboutir qu’à un refus qui satisferait les opinions publiques de l’Arabie Saoudite et l’orgueil qatari.
Adossé à un fonds de 300 milliards de dollars, le Qatar peut refuser l’ultimatum de l’Arabie Saoudite.
De son côté l’Arabie Saoudite n’est pas non plus en position de banqueroute. C’est pourquoi il est probable que l’on va s’installer dans un flou artistique.
Ni guerre ni paix !
Avec juste ce qu’il faudra comme incidents pour nourrir les informations d’Al-Jazeera. Voilà pour le premier des trois scénarii envisageables.

Scénario deux. Les USA mettent tout leur poids dans la balance pour arriver à une solution. Trump à la manœuvre, ce n’est pas le scénario le plus facile à envisager. Trop compliqué pour son cerveau embrumé. Il n’est pas équipé intellectuellement pour barrer par gros temps. Ni même sur une mer d’huile d’ailleurs.

Scénario trois. Le conflit ouvert et armé. Bien que l’histoire ait pour habitude de réserver de désagréables surprises, ce scénario pour les raisons envisagées plus haut est hautement improbable.

Le scénario un verra sans doute des pressions US plus ou moins modérées de leur part ( encore que ceux-ci n’aient pas l’habitude de travailler dans la dentelle), peut-être quelques signes d’un Koweït ayant déjà versé son écot à la rapacité irakienne et peut-être quelques encouragements européens ; ce sera tout sauf suffisant.
Rex Tillerson a ainsi pu dire : « Nous espérons que la liste de demandes sera bientôt présentée au Qatar et sera raisonnable et réalisable. Nous soutenons les efforts de médiation koweïtiens et avons hâte que ce sujet avance vers une résolution. » En d’autres temps, Kissinger a su parler de façon autrement convaincante aux sud-vietnamiens.

Le Qatar, pour autant, aura tout intérêt à ce qu’Al-Jazeera commente dorénavant sotto voce l’actualité. Mais s’il le fait, et il le fera probablement, ce sera sans perdre la face. Son intérêt bien compris, lui dicte de ne pas stigmatiser plus que nécessaire l’Égypte et l’Arabie Saoudite sur toutes ses paraboles. Quant à son support au terrorisme, il est évident qu’il l’arrêtera au moins provisoirement.
Moyennant quoi les choses pourraient revenir, peu ou prou, telles qu’elles étaient auparavant.

La liste des 13 demandes révèle plusieurs points. D’abord un amateurisme. Comment peut-on penser que tant de demandes puissent être étudiées et exécutées sous 10 jours. Même la Corée et l’Iran ont eu droit à des délais beaucoup plus longs alors qu’il s’agissait de menace nucléaire, ce qui n’est pas le cas ici.
Amateurisme ou à usage interne ?
Mettre sur le même plan l’influence d’Al-Jazeera en exigeant sa fermeture, couper toute aide et contact avec les Frères Musulmans relève d’une autre logique.
La fermeture de la base turque–pays membre de l’OTAN–prouve à l’envi qu’il s’agit tout simplement d’une lutte telle que Sparte et Athènes se livraient. Amateurisme, usage interne ?
Quant à l’exigence de la réduction ad nullum de la coopération avec l’Iran, elle serait plus facilement compréhensible si l’Arabie Saoudite n’avait pas elle-même entretenu des relations teintées de soufre avec la mollahcratie perse afin de réguler les prix du pétrole.

Amateurisme, impéritie, volonté de conserver rang, influence et puissance alors que l’Iran, à peine sorti du ghetto des sanctions nucléaires, éploye désormais des ailes plus classiquement conquérantes et de plus ample envergure, car précisément délestées de réacteurs nucléaires.
Eût-on voulu éviter d’aller au conflit, l’on ne s’y serait pas pris autrement. En guise d’ouverture et de conclusion le cœur de la raison saoudienne telle que formulée dans une demande officielle:
«Qatar would have to “align itself with other Arabs and the Gulf, militarily, politically, socially and economically, as well as in financial matters”.
On ne saurait être plus clair.

Le Royaume-Uni, par la voix du flamboyant et plaisantin, Boris Johnson, que l’on eût aimé voir plus perspicace à propos du Brexit, ne peut s’empêcher de dire: “Gulf unity can only be restored when all countries involved are willing to discuss terms that are measured and realistic. »
“The UK calls upon the Gulf states to find a way of de-escalating the situation and lifting the current embargo and restrictions which are having an impact on the everyday lives of people in the region.
Rule Britannia n’avait pas pour tradition de se préoccuper du bien-être des populations étrangères. La signification exacte de ce morceau d’anthologie serait plutôt: « qui aurait un impact sur nos investissements, nos approvisionnements et la City.
Quant aux contrôles et audits réguliers sur 10 ans, cela dénote tout simplement la volonté de vassaliser un État qu, certes, a aussi sa part de responsabilité dans la crise en ayant financé des mouvements extrémistes et terroristes pensant ainsi acheter sa tranquillité. L’on sait ce que vaut la lâcheté de tels calculs.
Enfin cerise sur le gâteau faute d’avoir accepté ces 13 points sous 10 jours, ils seront invalidés. La véritable nature financière de ces points transparait.
Demander au Qatar de payer pour des soi-disant pertes occasionnées par la politique qatarie lors des années précédentes démontre leur vraie nature de façon éclatante.
En d’autres temps l’on clamait urbi et orbi : l’Allemagne payera !

Comme le Qatar ne saurait accepter un tel diktat et que l’Arabie Saoudite n’a pas les moyens militaires ni même financiers de mettre sa menace à exécution, l’on s’oriente vers une sortie de crise lente et presque en cachette où quelques abcès dont la seule utilité sera de ménager les susceptibilités–qui sont grandes dans la région–des uns et des autres, demeurera.
Il est en outre probable que le Qatar, volens nolens, imposera à Al-Jazeera un ton plus mesuré et diminuera son soutien au mouvement terroriste car l’évolution sur le terrain dictera sa loi.

Comme il était prévisible, le Qatar a rejeté l’ultimatum et Monsieur Tillerson entame une série de pourparlers, scandés par les twits de Trump, et ponctués par les reports répétitifs de l’ultimatum.

Laissons donc le twit de la fin au ministre iranien des affaires étrangères Mohammad Javed Zarif qui appelle fort intelligemment au dialogue. Ce twit à lui seul explique pourquoi la crise n’ira pas plus loin. « “Neighbors are permanent; geography can’t be changed. Coercion is never the solution,”

D’autres diront comme Winston Churchill: « Never let a good crisis go to waste”

Leo Keller
14 juillet 2017 –BLOGAZOÏ

Notes

1 rapporté dans le Financial Times du 6 Juin 2017
2 in Figaro 2 avril 2015
3 Rapporté dans le Financial Times du 6 juin 2017
4 Rapporté dans le Financial Times du 6 juin 2017
5 Rapporté dans le Financial Times du 6 juin 2017
6 Henry Kissinger in Pour une nouvelle politique étrangère américaine page 56
7 Henry Kissinger In le Chemin de la Paix.
8 Rapporté dans le Financial Times du 6 juin 2017
9 Jules César in La Guerre des Gaules livre IV chap. V

 

 

 

La rédaction de JForum, retirera d'office tout commentaire antisémite, raciste, diffamatoire ou injurieux, ou qui contrevient à la morale juive.

S’abonner
Notification pour
guest

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

1 Commentaire
Le plus récent
Le plus ancien Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

[…] Lire la suite sur JForum […]